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mauricejeanauteur

Chapitre 3. La femme inconnue



« C’est votre mère ? » Pleine de sollicitude, Florence réalisa qu’elle avait utilisé le mot «cadavre » sans délicatesse. Elle s’attendait à voir le jeune homme s’effondrer. Elle regarda à nouveau le corps et éprouva de la gratitude pour l’absence de flaque de sang. S’évanouir une fois dans la journée lui suffisait. Dès qu’elle voyait le liquide visqueux s’écouler, son imagination partait en vrille et créait un véritable scénario d’horreur.

Pierre-Philippe se ressaisit. Il n’allait tout de même pas raconter son enfance à une inconnue. Il se précipita pour constater à son tour la scène dans la salle de bain. Il s’attendait à y trouver l’homme de 50 ans. Il s’agissait plutôt d’une femme menue à la chevelure grise, repliée sur elle-même dans un angle incongru et recouverte de la robe de chambre. Il constata que le rebord de la fenêtre à guillotine et le mur en dessous étaient maculés de boue. Son premier réflexe fut d’entrer dans la pièce pour regarder par la fenêtre, mais Florence l’en empêcha. « Est-ce qu’on ne serait pas mieux d’appeler l’ambulance ou la police ? »

— Impossible, on n’a pas de connexion. Il y avait un homme. Il a dû sortir par la fenêtre.

— Il n’y a pas une ligne fixe ? Où est-ce que vous allez ?

­— Non plus. Ça n’entre pas dans la définition de « tout équipé » du propriétaire.

Florence suivit le jeune homme, confuse qu’il ait ainsi abandonné sa mère. Est-ce qu’il se sauvait parce qu’il l’avait tuée ? Qui était l’homme dont il parlait ? Elle regrettait de se trouver dans ce chalet minable. Mais Pierre-Philippe s’était montré gentil avec elle. Elle lui faisait confiance malgré tout. Elle voulut lui offrir son parapluie, mais il était déjà ruisselant et le refusa sans même se retourner.

Pierre-Philippe fit le tour du chalet, pressé de rattraper l’homme en fuite, pestant contre sa malchance. Il scruta le boisé, le chemin menant au lac, la route. Nulle trace, aucun mouvement. Il ne devait pourtant pas se trouver bien loin, puisque son véhicule était toujours enlisé. Il songea subitement qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il ferait s’il réussissait à lui mettre la main au collet. Et s’il n’était pas seul ? Comment expliquer sinon qu’il ait pu faire entrer un cadavre par la fenêtre et se sauver aussi vite ? Il observa Florence et se demanda si elle était une complice. Elle aurait pu le distraire pendant que l’homme de 50 ans s’enfuyait. Puis, il fit non de la tête. C’était peu probable, elle aurait évité la salle de bain et la découverte du corps. Elle ne se serait pas évanouie.

Florence avait les deux mains sur le manche du parapluie, les épaules relevées. Elle se demandait ce qui se passait dans la tête de Pierre-Philippe, pourquoi hochait-il de la tête comme s’il se parlait seul. Elle pensait à ses parents qui s’inquiéteraient de ne pas la voir arriver, à Philippe, qu’elle espérait retrouver, à cette averse qui lui donnait froid. « Êtes-vous OK ? Peut-être qu’on devrait aller chercher de l’aide ? Mon camion n’a pas peur de la boue, je peux aller à peu près n’importe où. »

Pierre-Philippe acquiesça à contrecœur.

— Oui, j’aimerais ça qu’on vienne me débarrasser du cadavre puis m’en retourner à ma lecture. Je ne cherchais pas le trouble, moi. Quoique je ne me vois pas vraiment finir mes vacances dans ce chalet-là.

— En effet, je ne pense pas que la police vous permette d’y retourner.

Florence soupçonna que la défunte n’était pas la mère du jeune homme.

— Et si l’homme revient ?

— Pourquoi est-ce qu’il reviendrait ? Maintenant qu’il s’est débarrassé du cadavre, il veut probablement seulement se pousser.

— Mais son auto est encore ici. Ah non ! Je le savais que je n’aurais pas dû acheter un véhicule reconditionné.

Ils constatèrent tous deux que la roue droite avant était penchée et sortait de l’aile du F150. Impossible de conduire le véhicule. Florence fulminait. Elle avait pris une décision impulsive, attirée par le rabais. Elle en payait maintenant le prix. Elle se sentait oppressée, ne sachant pas comment se sortir de ce bourbier.

Pierre-Philippe et Florence se consultèrent des yeux et, d’un air entendu, pénétrèrent dans la petite Versa bleue. Les clés avaient été retirées du contact. L’intérieur était d’une propreté impeccable. Le coffre à gant contenait des cartes des Laurentides, un petit paquet de mouchoirs entamé et des verres fumés pour femme avec une monture dorée. Florence se saisit de la sacoche sur le banc arrière et se fit la réflexion qu’une femme aussi soigneuse l’aurait déposée plutôt que de la lancer comme cela semblait avoir été le cas. Elle trouva le permis de conduire et lit le nom inscrit : « Charlotte Simard. Elle est née en 1948. Ça lui donne 73 ans. Bien, en mai, le mois prochain, en fait. Vous pensez que c’est la dame dans la salle de bain ? »

Pierre-Philippe ne voyait pas d’autre explication. Maintenant, la seule option qui leur restait serait de prendre son véhicule à lui, une fois que le déluge se calmerait. Il jeta un œil à Florence qui vérifiait l’accès au réseau sur son cellulaire sans succès. « Vous voulez une bière ? Il va falloir être patient. »

Ils entrèrent dans le chalet sans remarquer les traces d’eau sur le plancher. Ils dégoulinaient partout eux-mêmes. Florence déposa son parapluie contre le mur à l’entrée et retira sa veste. Elle s’assit sur le divan, entoura ses jambes de ses bras et enfouit son menton entre ses genoux.

Pendant ce temps, Pierre-Philippe alla enfiler ses seuls vêtements de rechange et mettre à sécher ceux qu’il portait. Il referma la porte de salle de bain, évitant de regarder le corps gisant. Il pensait à voix haute. « Ma sœur avait parlé de venir faire un tour, mais je doute qu’elle en ait encore envie avec toute cette pluie. S’il fallait qu’on se ramasse avec un véhicule en plus qui s’enfonce dans la route de terre... » Il n’avait pas particulièrement envie de voir sa sœur et n’avait pas insisté, mais il en venait à désirer la présence de quiconque pourrait les aider à appeler du secours. Peut-être qu’ils seraient aussi bien de marcher jusque chez les voisins les plus proches, mais il n’était pas certain qu’ils soient présents ou qu’ils aient eux-mêmes une connexion Internet.

Pierre-Philippe cala la première bière qu’il n’avait toujours pas terminée, ouvrit le mini réfrigérateur, en sortit deux bien fraîches, en replaça deux sorties de la caisse. Il allait donner une bouteille à Florence assise sur le divan, mais s’arrêta net. Celle-ci le regarda d’un air inquiet.

— Il y a un problème ?

— J’avais laissé mes clés de voiture là ! dit-il en désignant un morceau de bois accroché le mur.

— Vous pourriez les avoir mises ailleurs la dernière fois ?

— Pas moi.

— Dans vos poches ?

Il fit non de la tête.


 

Elle gagne sa croûte en transformant les paroles de ceux qui se battent en cour en fichiers écrits, traquant les fautes d'orthographe et les coquilles. Elle veille sur ses deux garçons, dont elle aime voir la personnalité s'épanouir et s'affirmer. Elle a quand même le temps de toucher à tout (sauf le ménage). Elle ne pourrait vivre sans livre, sans musique, sans chant, sans beauté. Alors, elle fait tout ce qu'elle peut pour faire vibrer de culture son coin de pays par l'entremise de l'organisme La Branche culturelle, dont elle assume la présidence. Avec Les célèbres anonymes, elle se fait le cadeau d'un espace de création personnel, en compagnie de son partenaire de vie.


lescelebresanonymes.com


Facebook : @lescelebresanonymes


Bibliographie

« Dre Maude »

Illustrations de Marie-Hélène St-Michel

Roman biographique jeunesse, 2019 (lancement le 20 octobre)


« Arthur et ses dents de lait »

Illustrations de Marie-Ève Pharand

Album jeunesse, 2018


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