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  • mauricejeanauteur

Chapitre 6. La fuite



Quelques heures auparavant, l’homme de cinquante ans avait réussi à sortir par la fenêtre exiguë de la salle de bain et se cacha sous le toit de l’abri où quelques cordes de bois étaient entreposées. De cet endroit, il pouvait observer les allées et venues. Il tenta désespérément de contacter par cellulaire sa complice afin de la prévenir de la situation catastrophique en cours. Pendant qu’il était à son clavier, il entendit un bruit sourd provenant du bord de la rue. Un véhicule venait de percuter la Versa enlisée.

« Ah non ! pas ça ! » marmonna-t-il.

Le conducteur sorti de la camionnette. Immédiatement, l’homme reconnut Florence à la couleur du parapluie qu’elle tenait de sa main gauche. Il remarqua qu’elle se frottait le front, l’impact avait été somme toute violent. Pendant qu’elle titubait en direction de l’entrée du chalet, l’homme tenta de mille manières de l’alerter, mais ses gestes étaient inutiles avec cette pluie torrentielle qui masquait tout.

En filigrane, il vit une autre voiture s’approcher lentement avec pour seule lumière, les feux de position. « Mais qui pourrait-ce bien être ? Un ami de ce foutu Pierre-Philippe ? Un voisin ? ou… » s’interrogea-t-il.

La situation devenait de plus en plus compliquée et il devait fuir à tout prix cet endroit. Il sentait ses palpitations cardiaques au niveau de ses tempes grisonnantes et son anxiété augmentait considérablement. Il savait qu’il ne devait pas franchir le point de bascule qui l’aurait fait perdre le contrôle jusqu’à faire des gestes qu’il aurait regrettés toute sa vie. Il sortit un flacon de sa poche et avala deux comprimés d’amphétamine qui lui procurerait l’énergie dont il aurait besoin dans les minutes à venir.

Voyant qu’un véhicule s’approchait sournoisement du chalet, le quinquagénaire s’introduisit au sous-sol par la porte bien dissimulée dans le buisson. Il constata avec satisfaction que la cargaison était toujours là. Pour l’instant, il ne pouvait récupérer son dû, car la présence du locataire brouillait les cartes.

Soudain, il entendit la voix de Florence qui discutait vivement avec le locataire de ce piètre chalet. Une pensée satanique lui traversa la tête : « Elle saura sûrement éliminer ce causeur de trouble… »

Florence était sa nouvelle amie de cœur avec qui il voulait refaire sa vie et s’envoler vers des pays lointains. Il souhaitait faire un trait sur son ancienne existence de trafiquant et de blanchiment d’argent à l’emploi d’un riche entrepreneur immobilier. Il avait entraîné Florence dans ce coup fumant d’importation de 50 kg de cocaïne en lui promettant la belle vie.

Mais un problème subsistait : comment quitter cet endroit maléfique avec des véhicules hors d’usage ? Le quinquagénaire devait trouver une solution. Lorsqu’il entendit la porte d’entrée se refermer, il monta l’escalier de la cave, poussa le panneau mobile et se retrouva dans le salon. En un temps record, il s’empara du trousseau de clés avec un logo Hyundai qui était sur un semblant de table près du divan. En passant devant la salle de bain, il perçut des bruits et des craquements, une lumière bleutée sous la porte. Les yeux exorbités, il s’empressa de redescendre au sous-sol, en replaçant du mieux qu’il pouvait le tapis qui cachait la trappe. « Est-ce un fantôme ? » L’effet des amphétamines ajoutait à son délire.

Des images de son enfance défilaient dans sa tête. Il se revoyait dans le grand dortoir du collège, caché sous les couvertures pour ne pas entendre le cri des enfants subissant les sévices des responsables de l’éducation.

Ses gestes devenaient de plus en plus erratiques. Il brisa une des boîtes et s’empara de plusieurs sachets de cocaïne, ouvrit la porte extérieure qui se referma derrière lui avec fracas. Son cœur se mit à battre à en rompre sa poitrine, tellement il savait que sa bévue allait alerter tout le voisinage. Pris de panique, trousseau de clés en main, il courut à grande enjambée jusqu’à l’auto, glissa dans la boue. Il n’avait plus les clés dans sa main. Il les chercha quelques secondes qui lui parurent une éternité. Dès qu’il les trouva, il ouvrit la portière, jeta les sachets sur la banquette arrière et démarra en trompe, provoquant une traînée de boue. Dans le rétroviseur, il vit Pierre-Philippe et Florence éclaboussés par son départ furtif. Il ne souhaitait qu’une chose : s’enfuir.

Il s’en voulait d’avoir laissé derrière lui la complice qu’il aimait, mais se disait qu’elle pouvait s’en sortir sans lui. « À chacun son destin », murmura-t-il.

Les sueurs sur son front et la pluie qui continuait à se déverser causèrent de la condensation qui se déposa sur le parebrise. Au volant de la Hyundai Elantra, il roulait à vive allure comme s’il se sentait poursuivi. Il savait qu’une fois rendu sur la route 117, il pourrait respirer mieux.

Confus dans ses pensées, il vit à la toute dernière minute une courbe serrée. Au même moment, un véhicule arriva en sens inverse. À la dernière seconde, il donna un vif coup de roue à droite puis à gauche. Le pare-chocs arrière percuta le VUS, le propulsant sur le côté du chemin. La conductrice reprit rapidement le contrôle du véhicule, ralenti et s’arrêta. Elle alluma les feux de stationnement, sortit du VUS et vit la Hyundai s’éloigner dans la nuit.

Les deux mains accrochées au volant, il reprenait son souffle sur ce foutu chemin rempli de boue. Après quelques kilomètres, il arriva finalement sur la route principale. Au même moment, son téléphone se mit à vibrer. Il le retira de sa poche de pantalon et remarqua qu’un texto venait d’entrer. « Enfin le réseau cellulaire », se dit-il.

« Où en es-tu avec le butin ? » afficha l’écran.

« Ah non pas lui ! » maugréa le conducteur. Ça faisait peut-être des heures que le message avait été envoyé. Il devait fournir une réponse. Ses pensées s’entremêlaient entre la vérité et le mensonge. Basculer des ténèbres à la lumière n’est pas toujours facile… Il espérait seulement avoir le temps de cacher en lieu sûr les sachets qu’il s’était réservés.

La pluie s’estompait graduellement. Son regard fut saisi par des lumières clignotantes au loin. Son cœur ne fit qu’un tour à l’idée qu’il pourrait se faire prendre en possession de cocaïne. « Au fait, où sont-ils les sachets ? » Il passa rapidement sa main droite sur la banquette arrière. Aucune présence de ceux-ci. « Ils sont sûrement tombés sur le plancher lors de la manœuvre d’évitement de tantôt… », se dit-il.

Les cheveux mouillés, ses vêtements et ses souliers détrempés pleins de boue, son allure posait question. En plus du véhicule « emprunté » et la drogue, rien pour passer incognito ! Il regarda dans le rétroviseur et vit un large chapeau Tilley sur la banquette. Il l’agrippa et s’en couvrit. « L’apparence d’aventurier sera un bon alibi », pensa-t-il.

Les gyrophares étaient de plus en plus distincts. Sa gorge se serra lorsqu’il s’aperçut que c’était un barrage routier. Ses palpitations s’accéléraient au fur et à mesure qu’il s’approchait du point de contrôle. Il avala deux autres comprimés. Trois véhicules le séparaient des agents de la SQ qui faisaient signe aux conducteurs de se ranger sur l’accotement.

De nouveau, son cellulaire se mit à vibrer. L’appel venait d’un numéro connu.

— Qu’est-ce qui se passe avec toi Langevin ? Ça fait une heure que j’essaie de te joindre. As-tu le butin ?

Un long silence s’installa, il ne restait que deux véhicules devant lui.

— Oui patron, tout est sous contrôle, répondit-il d’une voix chevrotante.

— Ne me prend pas pour un imbécile Langevin ! Je sais que tu mens ! Le GPS que j’ai placé dans l’Acadia que je t’ai fournie montre que celle-ci est encore au restaurant Saint-Hubert à Piedmont et ton cellulaire indique que tu es au coin de la route 117 près de La Conception. Ne joue pas à ce jeu-là avec moi, tu vas le regretter !

Philippe était dans une impasse. Soit qu’il avouait tout, soit qu’il continuait à mentir. Le temps pressait, un seul véhicule le séparait des policiers.

Tout à coup, les agents rangèrent leur lampe de poche, coururent vers les voitures banalisées et décollèrent en trompe direction sud.

Philippe n’en croyait pas ses yeux, à quelques mètres de se faire interpeller et voilà qu’il devenait sauf… ou presque.

Les médicaments augmentaient sa cadence cardiaque. Se rappelant la promesse qu’il avait faite à Florence, il prit une longue inspiration et répondit à son interlocuteur :

— Je ne marche plus !

— Comment ça tu ne marches plus ! cria le patron.

— C’est ça, je ne marche plus ! Arrivederci ! et il lança le cellulaire par la fenêtre.

Philippe tourna vers le nord et se voyait déjà dans d’autres lieux après qu’il aurait vendu les sachets de drogue et retrouvé son amie de cœur.


Le patron fulminait dans la verrière du salon qui surplombait le lac Tremblant.

Il reprit le téléphone.

— Bonjour, ici Air Tremblant, comment puis-je vous aider ?

— Passez-moi votre meilleur pilote, demanda le patron.

— À qui ai-je honneur de parler ?

— Peu d’importance. C’est pour une affaire urgente et je peux payer.

— D’accord monsieur. Je vous passe notre excellent pilote de brousse qui a aussi servi dans l’armée. Il saura sûrement vous aider.

Après quelques minutes

— Oui bonjour, Luc Prévost à l’appareil. Comment puis-je vous être utile, monsieur ?


 


Michel Bouvrette est né à Saint-Jérôme dans les Basses-Laurentides. Retraité d’Hydro-Québec, il s’adonne à l’écriture (poésie, récit, nouvelle) au début des années 2000.

Il a participé à plusieurs ateliers d’écriture avec la Fédération Québécoise du Loisir Littéraire (FQLL). Tous les ans, il prend part au Festival International de Poésie de Trois-Rivières (FIPTR) durant lequel il peaufine sa poésie lors d’ateliers avec Michel Pleau et Louise Dupré. Il a aussi suivi un atelier avec Hélène Dorion.


Michel est membre de l’Association des Auteurs des Laurentides, de RAPPEL :Parole-Création et de l’organisme Toulesarts de Saint-Eustache. Il est un partenaire fidèle de Poésie Académie.


Dans le milieu, on dit de Michel qu’il est un orateur de talent ! Il assiste à différents événements de poésie durant lesquels il aime lire ses textes.


En 2014, il publie son premier recueil de poésie Écorce des nuits. Dans ce livre, il explore les dimensions du temps, de l’amour, des mots, et de la souffrance, lieu d’espérance.

Sa poésie s’inspire de la beauté de l’être humain et de sa complexité. Pour lui, « la poésie est un lieu de passage pour les joies et les souffrances de l’Âme. »


Au printemps 2018, il propose à ses lecteurs Un pèlerin dans la boue, récit de voyage sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Son style à la fois prosaïque et poétique nous fait voyager dans les méandres de son cœur, nous laissant découvrir une autre facette du pèlerinage. Depuis, il donne des conférences sur l’expérience du Chemin de Compostelle.

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